Socialité du moi

Karl Marx dans Contribution à la critique de l'économie politique dit que: « Ce n'est pas la conscience des hommes qui détermine leur être; c'est inversement leur être social qui détermine leur conscience ». Mais il ne faut pas oublier que c'est le langage qui fait la psychologie et non l'inverse et qu'il faut considérer que le clivage du premier était plus important entre les classes bourgeoise et prolétarienne à l'époque de Marx même si comme il le précise la lutte des classes a toujours été et sera toujours le moteur de l'histoire.

Mais pour mettre vraiment en place le rapport entre la socialisation du travail et les échafaudages de la conscience dans notre société contemporaine nous allons citer Hannah Arendt à maintes reprises afin de collaborer à l'identification des éléments porteurs de la psyché.

Ainsi ne dit-elle pas d'abord: « Comparées à la réalité que confèrent la vue et l'ouïe, les plus grandes formes de la vie intime - les passions, les pensées, les plaisirs des sens - mènent une vague existence d'ombres tant qu'elles ne sont pas transformées (arrachées au privé, désindividualisées pour ainsi dire) en objets dignes de paraître en public ». [1] En effet comme nous l'avons vu précédemment déjà il se produit un transfert entre la vie publique et la vie privée de manière si naturelle (bien que d'instincts culturels) que les concepts de vérité et de raison associées respectivement et indirectement à la volonté par l'intelligence et au désir par la passion s'inversent tout en convertissant le lieu de la sélection de la réalisation de la pensée ou des appétits jusqu'au dévers de leur actualisation.

Avant d'en arriver à l'excès et au défaut que créent les structures rivales de l'organisation éclectique de la socialisation apparentées à l'animal laborians et à l'homo faber, juste un rappel concernant les instincts où « Du point de vue de la nature, c'est [...] l'œuvre qui est destructrice, puisque son processus arrache la matière sans la lui rendre dans le rapide métabolisme du corps vivant ». [2]

Venons-en au deux types d'instinct dont regorge l'accomplissement social alors que l'on dispose de « ce qui est sûr, c'est que la mesure ne peut être ni la nécessité contraignante de la vie biologique et du travail (animal laborians) ni l'instrumentalisation utilitaire de l'usage et de la fabrication (homo faber) » [3] , alors que qu'à cette démesure le juste milieu ne saurait être qu'être l'animal rationale qui serait donc la considération consciencieuse à la consistance d'une censure (Surmoi) qui départagerait donc les intérêts de chacune des deux attributions en ce sens où l'animal laborians ainsi où il est assujetti à son activité recouvre l'Idéal du Moi et en ce sens où l'homo faber est dominant de son activité recouvre le Moi Idéal. En fait ces deux instincts chevauchent la juste raison et endossent les passions ainsi qu'en leur travail, pour le premier il se fait objet de la réalisation là où pour le second il se fait projet de sa situation.

Et déjà nous pouvons poser comme hypothèses qu'il s'agit pour le premier de la bureaucratie ainsi qu'elle n'est qu'une activité qui répond à une "nécessité contraignante" asservie à un "travail" alors que pour le second il s'agirait d'une technocratie ainsi qu'elle n'est qu'une activité qui dispose d'un "instrument utilitariste" à l'égard d'un "usage et d'une fabrication".

Pour vérifier ces hypothèses voyons comment s'échelonnent les attributs psychosociaux en questions ainsi que Hannah Arendt dit encore: « Que l'homme ne puisse rien accomplir de plus grand que sa propre apparence, sa propre actualisation, c'est une conviction qui certainement ne va pas de soi. Elle a contre elle la conviction de l'homo faber: les produits d'un homme peuvent lui être supérieurs, et non seulement lui survivre; elle a aussi contre elle la ferme croyance de l'animal laborians: la vie est le bien suprême. L'homo faber et l'animal laborians sont donc à proprement parler apolitiques; [...] en général ils jugent les activités publiques d'après leur utilité à l'égard des fins supposées plus hautes: dans le cas de l'homo faber embellir le monde et le rendre mieux utilisable, dans le cas de l'animal laborians prolonger la vie en la rendant plus facile » [4] , où les deux catégories rendues ontologiques de par leurs origines existentielles sont à proprement parler au-delà des apparences politiques et font d'un credo phénoménologique deux événements contemporains que sont pour le premier la technocratie et pour le second la bureaucratie.

Juste une dernière remarque pour conclure et cela, bien sûr, avec l'intervention de Hannah Arendt qui dit de la sorte: « Jadis Démocrite avait prédit que la victoire de l'esprit sur les sens ne pourrait se terminer que par la défaite de l'esprit: la prophétie semblait se réaliser, à cela près que les données d'un instrument triomphaient, apparemment, de l'esprit et des sens en même temps ». [5] Qu'à cela se produisit un renversement qui se redoubla si je puis dire entre capitalisme et libéralisme, ainsi que la sensibilité faisait figure de faiblesse là où l'intelligibilité triomphait de son état d'esprit insécable, mais cela était sans tenir compte et c'est encore cela avec la technocratie triomphante qui ne peut exclure la bureaucratie qui lui doit sa survivance car en tout être et en toute conscience coexistent les deux attraits où d'un côté on a une intelligence sensible qui mise sur l'état d'esprit d'assimilation du mal et de l'autre on a une sensibilité intelligible qui se soumet à l'intégrité du bien. Car si la sensibilité part du Moi, l'intelligibilité arrive au Surmoi quand c'est l'Idéal du Moi qui se positionne avec sur sa route l'état d'esprit du bureaucrate et inversement si l'intelligibilité part du Surmoi et arrive au Moi c'est le Moi Idéal qui se positionne avec sur sa route l'état d'esprit du technocrate. Donc nous savons en quoi l'instrumentalisation du travail met à l'ouvrage l'intérêt du Moi Idéal alors technocrate et en quoi la contrainte du travail asservit la nécessité de l'Idéal du Moi ainsi bureaucrate.

[1] : Hannah Arendt; Condition de l'homme moderne; pp. 89-90.

[2] : Hannah Arendt; Condition de l'homme moderne; p. 146.

[3] : Hannah Arendt; Condition de l'homme moderne; p. 230.

[4] : Hannah Arendt; Condition de l'homme moderne; p. 269.

[5] : Hannah Arendt; Condition de l'homme moderne; p. 346.