J’ai embrassé l’aube d’été.
Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était morte. Les camps d’ombres ne quittaient pas la route du bois. J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et
les pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit.
La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom.
Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins : à la cime argentée je reconnus la déesse.
Alors je levai un à un les voiles. Dans l’allée, en agitant les bras. Par la plaine, où je l’ai dénoncée au coq. A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes,
et courant comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais.
En haut de la route, près d’un bois de lauriers, je l’ai entourée avec ses voiles amassés, et j’ai senti un peu son immense corps. L’aube et l’enfant tombèrent au bas du
bois.
Au réveil il était midi.
Ce poème en prose commence et finit par deux phrases succinctes, c’est-à-dire respectivement : « J’ai embrassé l’aube d’été » et par « Au réveil il était midi », ainsi
qu’il a fallu s’investir depuis lors où, en premier lieu, Rimbaud « marche », dès la seconde phrase, et où un peu plus bas, à la cinquième phrase, il va « courant », ce qui,
bien entendu, implique des actions de plus en plus frénétiques jusqu’à ce que, à l’avant-dernière phrase, « L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois ». Etait-ce bien de leur
âge ?
Car Rimbaud intervient d’abord dans une nature inerte et sans éclat où, dès la seconde phrase il est dit : « Rien ne bougeait encore au front des palais. L’eau était
morte. Les camps d’ombre ne quittaient pas la route du bois ».
Dès lors il devient à la fois acteur et spectateur où il dit : « J’ai marché » et cela n’est pas sans « réveillant les haleines vives et tièdes, et les
pierreries regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit », donc dans une majesté que nous analyserons tout du long de ce poème, ainsi que pour le moment règne le respect et la
tranquillité.
D’ailleurs dès la phrase suivante il est dit : « La première entreprise fut, dans le sentier déjà empli de frais et blêmes éclats, une fleur qui me dit son nom. », ce qui est de
bon aloi ainsi que cette fleur doit être un trèfle, puisqu’elle porte en elle une reconnaissance pour celui qui l’investit, et ne peut donc que lui apporter de la chance. Mais la question qui
peut se poser est : comment va-t-il s’en servir ?
Et dès la quatrième phrase il « rit » à ce qu’il contemple comme étant « les cheveux de la déesse », celle-ci étant ce qui transfiguré par la nature à
travers « L’aube d’été ». Mais que lui apporte ce ressenti ? Il est par la suite suffisant à ce que Rimbaud en arrive à « Alors je levai un à un les voiles », tout autant
de manière symbolique que physique pour notre poète qui va à l’endroit de la tombée du jour.
Au fond tout pourrait se faire avec délicatesse si Rimbaud n’en arrivait pas aux présents auxquels il participe, c’est-à-dire « Dans l’allée en agitant les bras » et « courant
comme un mendiant sur les quais de marbre, je la chassais ».
Il s’agit donc d’un viol de la nature, où il est dit par euphémismes, dans la sixième phrase : « je l’ai entourée avec ses voiles amassées, et j’ai senti un peu son
immense corps ». Et dans la scène finale, avant le réveil, le poète finit par coucher avec elle, comme il est dit : « L’aube et l’enfant tombèrent au bas du bois ». Nous
reviendrons sur ce viol.
Jetons maintenant un regard sur cette nature qui est en aparté de l’aube mais qui finit par s’y confondre, ainsi qu’elle nous apparait ici comme féérique, et c’est pourquoi
nous allons relever les moments privilégiés de ces instances intratextuelles.
Au tout début Rimbaud dit : « J’ai embrassé l’aube d’été » et qui est plus qu’un simple constat, c’est aussi un euphémisme où nous verrons que Rimbaud a été bien
plus loin que le respectable baiser.
Et il suffit de lire ligne après ligne pour se sentir oxygéner par cette nature suggestive, ainsi qu’une mise en relief de ce qu’elle recouvre en charme, en beauté et en délicatesse.
Relevons quelques images fortes. A la seconde phrase Rimbaud dit successivement : « J’ai marché, réveillant les haleines vives et tièdes, et les pierreries
regardèrent, et les ailes se levèrent sans bruit » ; avec une prosopopée sur « les pierreries » et une métonymie elliptique pour « les ailes se levèrent sans
bruit », pour caractériser la discrétion de l’oiseau matinal.
Dans la quatrième phrase il est dit : « Je ris au wasserfall blond qui s’échevela à travers les sapins », ainsi qu’une métaphore qui traduit que la lumière
ruisselle du haut des sapins comme les flots d’une chevelure blonde, où il y a, bien sûr, un glissement du sens.
Un glissement de sens qui se poursuit dans la phrase suivante où Rimbaud dit : « Alors je levai un à un les voiles », ainsi qu’il rend active la voix pronominale de l’expression
courante : « L’aube se lève ».
Relevons encore le chiasme sémantique où c’est notre poète qui dit de l’aube : « je l’ai dénoncé au coq », inversant ainsi les rôles. Or le coq est le symbole à la fois de la
fécondité et de la lubricité comme pour les lignes suivantes il est dit de l’aube : « A la grand’ville elle fuyait parmi les clochers et les dômes », où face à la virilité païenne
du poète elle veut s’en préserver dans une pureté virginale dont la couleur est « argentée » là où le poète n’est qu’un « mendiant ».
Et juste avant l’acte sexuel Rimbaud s’emploie à l’euphémisme : « Je l’ai entourée avec ses voiles amassées, et j’ai senti son immense corps », ainsi qu’il s’en éprend avec
délectation.